Ecriture à partir d'images
ECRIRE A PARTIR D’IMAGES DE LITTERATURE DE JEUNESSE
Le rapport texte – image selon Claude Lapointe, illustrateur
« L’illustration est par essence un art de représentation, un art narratif et non un art plastique. L’illustrateur est un metteur en scène qui remplit à peu près tous les rôles des professionnels d’un générique de film ou d’une représentation théâtrale : faire le découpage, choisir les moments clés, trouver les bons personnages, les créer, les habiller, les coiffer, les faire jouer juste, les mettre en scène, les cadrer, les « éclairer », créer une « ambiance », donner un ton, un style, trouver le rythme d’une image à l’autre… (…)
L’ambition profonde de l’illustrateur n’est pas, comme pour un plasticien, de s’exprimer comme il l’entend, d’écarter les règles communes en créant les siennes propres. Il est de faire jubiler un lecteur, d’être un alchimiste du rapport texte-image et d’être reconnu comme un auteur d’image, d’auteur tout court. »
Quelques façons possibles d’aborder une image…
- On en montre un fragment, on fait des hypothèses sur ce fragment ou on demande à chacun de l’inclure dans un dessin qui permet son interprétation.
- On la dévoile petit à petit en ouvrant des « fenêtres » comme dans un calendrier de l’avent (prévoir la progression de l’ouverture qui doit correspondre à la quête du sens.
- On recherche toutes les images qui racontent la même histoire où qui montrent le même type de personnages, où qui correspondent à la même technique, où qui reprennent la même thématique, etc. on établit des comparaisons (ressemblances, différences).
- On recompose l’image dans la réalité, on la joue s’il y a des personnages, on reprend les mêmes postures, expressions, etc. on cherche à recréer la même ambiance s’il y a des objets. On garde trace sous forme de photos. Cela permet de mettre en valeur les choix du producteur de l’image.
- On cherche une image très différente de celle qu’on étudie, on en cherche une autre qui lui ressemble, on se demande pourquoi les images sont différentes ou ressemblantes.
- On réalise un classement d’images (il en faut beaucoup). Critères de classement libres (en questionnant les enfants sur leurs critères) puis guidés si certains critères n’émergent pas (fonction des images par exemple : les images qui racontent des histoires, les images qui font peur, les images qui rassurent, les images qui font rêver, les images qui expliquent, etc.)
Quelques façons possibles d’aborder un album
- Présenter l’histoire par dévoilement progressif. L’histoire est présentée en plusieurs fois, à chaque épisode, les élèves font des hypothèses sur la suite du récit…
- Avant la lecture : présenter les personnages, faire des hypothèses à partir des images, les confirmer en lisant des extraits (description des personnages)…
- Présenter les images, faire des hypothèses sur ce qui est raconté, la lecture confirme ou infirme ensuite les hypothèses.
- Raconter l’histoire (sans texte) avec ou sans les images avant une lecture fine.
- Raconter l’histoire en la jouant avec des marionnettes (prédominance des dialogues) avant lecture.
- Présenter uniquement le début et la fin, faire imaginer les étapes intermédiaires avant de les dévoiler.
- Présenter les illustrations de l’album dans le désordre. Faire des hypothèses sur l’ordre puis sur l’histoire avant de vérifier.
Quelques façons possibles d’aborder un documentaire
- A partir d’un extrait contenant une explication (sans illustration). Lire l’extrait et demander aux élèves un projet d’illustration pour faire comprendre la notion. On peut travailler par groupe sur des extraits différents puis s’échanger ensuite les schémas pour voir s’ils sont compréhensibles pour les camarades qui n’ont pas le texte. (cela permet aussi de travailler sur le texte même et sa compréhension !
- Pour se préparer à cette tâche, chercher en BCD tous les types d’illustration possibles d’un texte documentaire. (photo, schéma, schéma annoté, BD, dessin, symbolisation, cartes, etc.)
Différentes modalités de productions d’écrits
- Un récit du type voyage à rebondissement. L’enseignant introduit au fur et à mesure de la rédaction de l’histoire des « accidents » ou des « rencontres » qu’il faudra intégrer dans le récit (manière d’aborder des œuvres plastiques ou littéraires et d’y faire référence, par exemple).
- La reprise d’une structure.
- des textes « à la manière de », pastiche de textes mythologiques, par exemple.
- un texte dont la forme est fixée par une norme précise : abécédaire, carnet de voyage, reportage, etc. Il faudra étudier de nombreux textes de ce genre pour trouver les caractéristiques du genre à travers les invariants.
- un recueil de poésie, (types d’écrits différents).
COMMENT PERMETTRE LA RENCONTRE D’UNE ŒUVRE D’ART ET D’UN INDIVIDU dans un cadre scolaire?(parti pris à l’origine des démarches d’écriture proposées à la Gemälde Galerie)
- Quelle posture adopter en temps que médiateur de cette rencontre ?
- Quel dispositif, quelles conditions mettre en place pour que ce petit « miracle » puisse avoir lieu ?
Une rencontre avec une œuvre, c’est un lien qu’un individu tisse avec un objet.
Mais au-delà de l’objet, c’est à d’autres hommes que le « regardeur » se relie :
- à l’artiste, au modèle ou au commanditaire s’ils existent,
- aux préoccupations et aux angoisses d’une société,
- à une vision du monde à une date et un endroit donné.
C’est pour cette raison que l’accès à la culture est si important : il faut bien sûr des références communes pour pouvoir se comprendre, mais au-delà de cela, c’est lorsqu’un individu se comprend comme relié aux autres hommes, dans le temps et l’espace, relié à une communauté humaine qui partage avec lui désirs, peurs, espoirs, douleurs, bien au-delà des barrières spatiales et temporelles qu’il peut construire son rapport au monde et qu’il est prêt à y prendre une place.
Alors, en tant qu’enseignant, il ne faut pas manquer le coche, sous peine de barrer l’accès à la culture à une partie du public qui n’y viendra que par l’intermédiaire de l’Ecole. Public qui part souvent avec un a priori négatif, rattachant l’art à une vision élitiste, poussiéreuse et « scolaire » dans le mauvais sens du terme.
Mais une rencontre ne s’enseigne pas, elle advient, elle a lieu.
Si l’on veut réunir les conditions qui permettent de créer cette rencontre, d’engendrer la compréhension intime d’une œuvre, il faut veiller…
Ces deux approches risquent toujours d’entamer le côté polysémique de l’œuvre d’art, son côté mystérieux, non réductible à une vision ou à une interprétation, qui est justement une des caractéristiques de l’art.
Il faut aussi prendre garde…
Un discours ou une approche savante peuvent être séduisants mais s’ils ne s’ancrent sur aucune culture ou savoir préalables, ils seront au mieux oubliés aussi vite qu’entendus et au pire rejetés comme élitistes.
Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut jamais avoir recours à l’utilisation d’œuvres en tant que documents, à une analyse formalisée d’une image, etc. Cela veut dire qu’il faut veiller à construire un lien intime entre chaque individu-élève et l’art avant de se lancer dans ce type d’approches visant l’acquisition de « savoirs ».
Rajoutons qu’il convient de se méfier des synthèses trop parfaites et des discours tellement simplifiés qu’ils caricaturent l’œuvre et la vident de sa complexité et de sa richesse. Le but sera de remettre l’œuvre au centre, de proposer aux spectateurs, non pas une activité culturelle, mais une expérience de vie.
Quel cadre mettre en place ?
Tout d’abord, il est profitable d’essayer de réunir quelques conditions :
Faisons l’hypothèse qu’écrire devant une œuvre favorise la « rencontre » entre un « regardeur » et une œuvre et donne accès à une compréhension intime de celle-ci et qu’en retour, le rapport à l’œuvre facilite l’accès à l’écriture.
Nous proposons une écriture qui n’est pas une expression de soi mais qui devient l’expression d’un regard singulier qui se pose sur une œuvre.
L’écrit produit constitue la trace de ce qui se passe quand ce que dit l’œuvre (ce qu’elle exprime des intentions de l’artiste, du commanditaire, ce qu’elle exprime de la vision du monde d’une communauté humaine à un moment donné de son histoire), rencontre un individu, les projections qu’il fait sur l’œuvre, projections qui sont aussi les produits de son histoire, de la société dans laquelle il vit, de ses goûts, affinités, angoisses, désirs, etc.
La contrainte d’écriture, qu’il faut choisir soigneusement, a pour but de permettre cette rencontre. La contrainte doit libérer le spectateur de ses a priori et lui donner envie de prendre le risque de se lancer dans l’écriture.
Ecrire ?
Tout d’abord, une « mise en appétit » est bienvenue, sous forme de lecture d’un texte, par exemple. Celui-ci peut avoir un rapport avec l’aspect formel de la contrainte d’écriture, ou cela peut être un texte qui rappelle les préoccupations métaphysiques d’une époque, voire un texte poétique.
L’important est que cette phase ne donne pas les clés de l’œuvre, n’explique rien, ne décrive rien, mais pose une question, donne envie au « regardeur » de construire du sens entre ce qu’il entend et ce qu’il voit.
Puis vient la phase d’écriture individuelle à partir d’une consigne d’écriture qui doit tenir compte :
Arrive enfin la phase collective. En écoutant les textes des autres chacun voit l’œuvre avec d’autres yeux, se décentre, sort de lui-même, une expérience collective s’amorce, un groupe se constitue. Les points de vue se complètent, des similitudes apparaissent (qui correspondent souvent aux caractéristiques essentielles de l’œuvre et aux intentions de l’artiste ou du commanditaire), des visions singulières sont partagées qui tout à coup révèlent l’œuvre autrement.
Le médiateur n’a plus alors qu’à rebondir sur la vision de chacun pour donner quelques clés du tableau. Dans la majorité des cas, il suffit non de les donner, mais de les réordonner, de confirmer des intuitions, une compréhension qui s’est forgée grâce au regard attentif et au temps qu’on lui a laissé.
Si tout s’est bien passé, cette phase permet au médiateur d’affirmer le pouvoir du regard, de montrer aux « regardeurs » qu’ils ont le pouvoir d’amorcer une compréhension des choses et du monde en posant sur lui un regard actif, libéré de tout a priori.